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Comment vivre 100 ans

La pandémie reliée à la COVID-19 qui secoue actuellement le monde, en plus de supprimer la vie de centaines de milliers de personnes et de causer d’importants bouleversements socioéconomiques, dévoile au grand jour les conditions de vie souvent déplorables des aînés. Dans de nombreux pays, les visites ayant été interdites dans les résidences ou dans les centres de soins pour les personnes âgées, les aînés meurent dans la solitude la plus complète et des milliers de familles doivent vivre leurs deuils sans pouvoir se réunir pour pleurer leurs parents ou leurs grands-parents. Cette crise nous rappelle qu’il ne fait pas bon vieillir. Le relâchement des attaches familiales, la dégradation des liens sociaux et la précarité des travailleurs de première ligne ont donné lieu à un modèle de soins de fin de vie fondé sur la mise à l’écart, modèle qui a révélé ses failles et nous oblige à repenser la vieillesse.

La Québécoise Arianne Clément, par le biais de reportages photographiques, s’interroge depuis plusieurs années sur le vieillissement et ses défis. Quels aspects du vieillissement sont culturels et lesquels sont universels? Comment les sociétés, les structures gouvernementales, les familles et les aînés eux-mêmes gèrent-ils le vieillissement à l’étranger? Qu’est-ce qui fait que certains individus vieillissent dans la sérénité alors que d’autres périclitent? Y a-t-il des endroits sur terre où il est plus facile de vieillir? Selon les cultures, quelles sont les différentes perceptions devant le vieillissement?

C’est avec ces questions en tête qu’elle a parcouru le monde à la recherche de différentes approches relatives au vieillissement. De 2017 à 2019, elle a visité les «zones bleues», ces endroits réputés pour la vitalité et le bien-être de leurs aïeuls. Les zones bleues, désignées en 2005 par le magazine National Geographic, sont les cinq régions du monde où l’on dénombre les plus fortes concentrations de personnes très âgées et où l’espérance de vie est exceptionnellement longue en raison du mode de vie pratiqué par leurs habitants.
 

On compte, parmi les zones bleues, la province d’Ogliastra, sur l’île de la Sardaigne, en Italie; la péninsule de Nicoya, au Costa Rica; la communauté californienne des adventistes du septième jour, à Loma Linda et ses environs, aux États-Unis; l’archipel d’Okinawa, au Japon et l’île d’Icarie, en Grèce. Depuis 2005, la diffusion médiatique accrue du phénomène popularise les « secrets » de la longévité :
-    une existence simple et relativement épargnée par les impératifs modernes;
-    une alimentation saine, non transformée et à prédominance végétale, souvent issue d’une agriculture de subsistance;
-    un filet social ou familial très présent;
-    une activité physique quotidienne, organisée ou spontanée;
-    du temps consacré chaque jour à profiter de la vie et à cultiver sa vie mentale, spirituelle ou religieuse.

Arianne Clément est allée à la rencontre des aînés des zones bleues, partageant leur quotidien, habitant parfois sous leur toit, documentant en photographie leur mode de vie. Elle a su créer des liens avec plusieurs de ces personnes âgées et recueillir des témoignages à travers lesquels elles nous font partager leur sagesse, leurs expériences, leurs joies, leurs inquiétudes et les défis qu’elles rencontrent. Ces récits permettent de rectifier des préjugés colportés sur le vieillissement et de démystifier certaines croyances entourant la longévité. Ce voyage photographique, doublé d’un florilège de récits de vie, expose la richesse et la complexité de l’expérience humaine.

L’approche de l’inéluctable n’est jamais facile, mais il n’en demeure pas moins qu’il y a de la beauté à vieillir et que la sérénité, face à la mort, se cultive. C’est ce que nous enseignent les résidents des zones bleues. Leur enseignement est d’autant plus précieux que l’empreinte croissante de la modernité mondialisée, les habitudes de vie changeantes chez les jeunes générations et les perturbations liées au tourisme et aux médias laissent transparaître la fragilité des zones bleues et le caractère exceptionnel de ces aînés dans l’histoire humaine.

Ce reportage, qui met en parallèle différents modes de vie et des croyances variées à travers le monde, s’inscrit dans une démarche militante de valorisation des aînés. C’est une façon de rendre hommage aux personnes âgées pour les connaissances et les valeurs qu’elles nous ont transmises et pour les luttes sociales et politiques qu’elles ont menées. Avec nuances et sans complaisance, Arianne Clément souhaite faire valoir l’importance de la contribution des doyens et des doyennes dans nos sociétés actuelles et souligner la richesse de leurs savoirs.

Dans un contexte de pandémie, qui expose plus que jamais la vulnérabilité des aînés, l’expérience des zones bleues invite à repenser nos manières de faire, à favoriser l’inclusion plutôt que la mise à l’écart, à s’inspirer de l’expérience des ancêtres, à cultiver des liens forts, tant à l’échelle familiale que communautaire et à se donner les moyens, collectivement, de permettre aux personnes âgées de poursuivre leur vie dans la dignité.