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Comment vivre 100 ans

Île d’Icarie, Grèce

Aristotelis Giakas, 87 ans

Nas, île d’Icarie, Grèce
 

Sur l’île d’Icarie, nous n’arrêtons jamais. Nous marchons toute la journée pour nous occuper des oliviers, des vignes, des arbres fruitiers, du jardin, des animaux, etc. Je pense que la nourriture saine contribue à notre longévité, mais seulement en partie. L’air marin est frais et l’eau est pure; elle vient des sources de la montagne et ne contient aucun produit chimique. Notre style de vie n’est pas anxiogène; contrairement aux gens d’Athènes et des autres villes, nous vivons au rythme des saisons et des récoltes.

Le sexe est certainement le secret le mieux gardé de la longévité icarienne. Ici, même les centenaires sont actifs sexuellement et ils sont toujours très performants! Rien au monde n’est plus sublime que de se faire chevaucher par une femme et il n’y a pas d’âge pour jouir d’une telle félicité. Je ne vous dirai pas si j’ai une amante ou non car il y a trop de commérages sur cette île, mais je peux vous dire que les Méditerranéens ont le sang chaud, les hommes aussi bien que les femmes!

Rien n’est cependant plus doux que de faire l’amour à sa propre épouse. On se sent entièrement comblé, rempli d’affection, de bonheur et d’extase. Le sexe, sans les sentiments amoureux, est loin d’être aussi exquis. Je regrette amèrement l’époque où ma femme était vivante.


Giorgos Stenos, 88 ans

Christos Raches, île d’Icarie, Grèce

La longévité sur l’île d’Icarie est certainement due au fait que nous consommons chaque jour du miel local, biologique, non pasteurisé dont les vertus thérapeutiques sont épatantes.
Quand j’avais environ 14 ans, j’ai lu un livre sur les abeilles et j’ai découvert l’incroyable contribution de celles-ci sur l’écologie, grâce à la pollinisation.
À 18 ans, j’ai décidé que j’allais consacrer ma vie à l’apiculture. Je pourrais me contenter d’être un marchand de miel, mais ma philosophie n’est pas d’exploiter la nature à outrance; je travaille plutôt en harmonie avec elle en contribuant à l’équilibre des écosystèmes.

La qualité et le prix du miel ont beaucoup changé avec le temps. Dans les années 1950, le sucre valait presque deux fois plus que le miel. Nous ne connaissions pas les bienfaits du miel et il n’avait aucune valeur. Les pâtissiers l’utilisaient seulement pour économiser sur le prix du sucre. Cependant, la cire rapportait un peu d’argent car nous éclairions encore les chaumières à la chandelle.
Plus tard, de nombreuses études ont démontré que nous produisions l’une des meilleures qualités de miel au monde. J’ai déjà goûté au miel américain et, sans vouloir n’offenser personne, en matière de vertus thérapeutiques, ça ne vaut pas mieux que du sirop de maïs.

Ici, l’air et l’eau sont purs et nos abeilles butinent une grande variété de buissons, d’arbres, d’herbes et de fleurs sauvages. Le sol rocailleux donne beaucoup de minéraux aux plantes et, par le fait même, au miel. Il n’y a aucun pesticide sur l’île et nos abeilles n’ont encore jamais été touchées par les infections et les maladies qui affligent les abeilles du monde entier.
On doit déplacer les ruches selon les saisons pour leur donner accès aux meilleures plantes. En ce moment, mes abeilles sont au Sud parce qu’il y fait plus chaud et que c’est la saison de la bruyère, une plante thérapeutique qui est la seule à être butinée durant l’hiver. Au mois de février, je vais les déménager dans une autre région de l’île où il y a beaucoup de sauge et où les amandiers seront en fleurs.


Giorgos Karoutsos, 92 ans

Nas, île d’Icarie, Grèce


Je suis marié depuis 63 ans et je suis toujours très amoureux de ma femme. Je ne serais pas l’homme que je suis sans elle. J’ai toujours été fou d’elle; j’ai toujours voulu être à ses côtés, l’accompagner partout où elle va, lui démontrer mon affection en lui prodiguant caresses et baisers. Malheureusement, les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus faire l’effort que demande une relation durable. Il est plus facile de rompre avec son partenaire que de fournir la patience et le travail que le mariage exige.

Voici, en vrac, les raisons de la longévité sur l’île d’Icarie : l’air et l’eau sont purs, la nourriture et le vin viennent directement de nos petites fermes et ne contiennent aucun contaminant, le stress est inexistant, nous marchons constamment, nous nous rassemblons régulièrement entre amis pour manger, fumer, boire, danser, faire de la musique, jouer aux cartes ou pour aller aux nombreux événements et festivals qu’offre la communauté.
En tant que fermier, j’ai toujours été très actif. Il fallait s’occuper du jardin, des vignes, des oliviers et des autres arbres fruitiers, des ruches, des moutons, des chèvres, des vaches, des cochons, des poules, etc. Maintenant, j’ai une blessure au genou qui m’empêche de travailler, ce que je trouve extrêmement pénible. Je fume quelques cigarettes chaque jour pour me réconforter.

 


Ioanna Kochila, 84 ans

Nas, île d’Icarie, Grèce


La vie n’est pas compliquée par ici. Nous mangeons presque exclusivement ce que nous produisons. Pour le reste, le boulanger vient nous livrer du pain tous les matins et le marchand de poissons vient une fois par semaine.
Je suis mariée avec Ioannis Melis depuis 63 ans. Pour qu’une relation perdure, il ne faut pas se chamailler pour des choses triviales et il faut passer par-dessus les petites contrariétés.

Quand son partenaire est en colère, il vaut mieux se taire et attendre que la poussière retombe avant de discuter avec lui de ce qui l’embête. Les gens mettent trop d’emphase sur les petits désagréments au lieu de les laisser passer.
C’est triste de voir les couples se déchirer par orgueil. Il ne faut pas attendre que son partenaire soit malade ou décédé avant de réaliser combien il compte pour nous. Mon mari et moi avons eu des périodes difficiles mais nous nous aimons profondément.

 

Ioannis Melis, 88 ans

Nas, île d’Icarie, Grèce

Je suis fou de ma femme Ioanna Kochila depuis que je la connais. Elle a un bon tempérament; elle est logique, généreuse, douce, souriante et elle entretient de bonnes relations avec tout le monde. Je ne vais jamais nulle part sans elle. Nous adorons sortir ensemble; nous allons à des événements et à des festivals dans les villages environnants. Nous avons même déjà voyagé en Albanie et en Turquie, ce qui est plutôt rare pour les gens d’ici.

Nous n’avons pas eu d’enfants mais nous avons tellement d’amis. Nous visitons des copains tous les jours quand ce n’est pas eux qui viennent nous voir. Nous nous rassemblons pour parler, boire, manger, fumer et jouer au backgammon. Ce qui est précieux sur l’île d’Icarie, c’est que les gens s’entraident beaucoup. On ne manque jamais de rien!


Zaxarias Pirudis, 99 ans

Plagia, île d’Icarie, Grèce

Depuis que je suis aveugle, je ne peux plus travailler autant qu’avant mais je me débrouille. Je ne crois pas en Dieu et la majorité des gens d’ici n’y croient pas non plus. Quand j’avais huit ans, un de mes enseignants était communiste et m’a fait découvrir son idéologie. Quand il a été renvoyé de l’école, il avait déjà fait plusieurs disciples et sa philosophie a continué de se propager à travers l’île d’Icarie. À 13 ans, j’ai été expulsé de l’école pour avoir lu de la littérature marxiste. 

À partir de ce moment, je suis devenu un fervent adepte du communisme et je le suis encore aujourd’hui puisque la lutte des classes est loin d’être gagnée. Mes amis et ma famille sont des militants, ainsi que la plupart des habitants de notre île, que l’on surnomme d’ailleurs « l’île rouge ».

Quand j’étais jeune adulte, alors que c’était la guerre, j’ai déserté l’armée et j’ai dû me cacher durant plusieurs années dans les montagnes. Je vivais dans une caverne et je ne mangeais pratiquement que des figues de Barbarie. Plus tard, j’ai été emprisonné et, éventuellement, j’ai été envoyé en exil avec d’autres prisonniers politiques sur l’île de Macronèse. En 1951, j’ai été libéré et je suis devenu fermier.
J’ai fait beaucoup d’excès dans ma vie. J’ai eu un restaurant durant un certain temps, mais j’ai dû le fermer car j’étais en train de devenir alcoolique. J’ai aussi beaucoup fumé. J’ai commencé à fumer en prison, car j’étais déprimé, et j’ai fumé jusqu’à mes 75 ans. J’ai arrêté à cause de problèmes de santé. Aujourd’hui, je vais au bar tous les soirs pour discuter avec mes copains, mais je me contente de ne boire que deux verres de vin.

 

Lefteres Parikos, 87 ans

Plagia, île d’Icarie, Grèce

Nous étions douze enfants chez nous et la vie était dure; nous n’avions pratiquement rien à manger et mes souliers étaient faits de vieux morceaux de pneu. Je devais marcher deux heures pour aller à l’école et je n’avais ni crayons ni papiers.
Lorsque j’ai eu 8 ans, les écoles ont fermé à cause de l’occupation italienne. Beaucoup de gens sont morts de faim durant cette période. Je me rappelle qu’une fois, nous étions tellement affamés que nous avons déterré un mouton en décomposition pour le manger. Il n’empêche que je garde un bon souvenir des soldats italiens qui partageaient leur nourriture avec nous, les enfants.
Plus tard, ça a été l’occupation allemande. Les soldats allemands étaient beaucoup moins chaleureux.
Ensuite, il y a eu la guerre civile en Grèce et l’on exilait les communistes sur l’île d’Icarie. Ceux-ci ont été accueillis à bras ouverts par les habitants de l’île qui étaient favorables à la philosophie communiste. J’en suis moi-même un fervent partisan. Comment ne pas l’être lorsque l’on est si pauvre? C’est le seul parti qui prend notre défense.
À partir des années 1950, les choses se sont améliorées sur l’île, mais la vie demeure difficile lorsque l’on est analphabète. Plus jeune, je mangeais très peu de viande car nous étions trop pauvres et que nous n’avions pas de réfrigérateur. Aujourd’hui, j’en mange environ deux fois par semaine. Je mange beaucoup de légumes, de poisson et d’huile d’olive, mais je ne bois plus de vin depuis que j’ai le diabète. Par contre, je bois de la grappa.
Il est certain que l’alcool contribue à la longévité. Avec ma belle-mère, nous buvions 1 000 litres de vin par an et elle a vécu jusqu’à 100 ans. Elle n’avait jamais assez d’alcool dans le sang. Elle buvait aussi de grandes quantités de cognac et de grappa. J’ai moi-même déjeuné longtemps au pain et au vin. On disait que boire le matin donnait de la puissance.
Avant d’être marié, je ne pensais qu’au sexe et j’avais plusieurs amantes. Ce n’était pas un problème de faire l’amour sans être marié; la société icarienne est très tolérante. Par contre, quand j’ai fondé ma famille, j’ai arrêté d’être aussi obsédé car il fallait travailler pour subvenir aux besoins des enfants.

 

Marika Sardi, 88 ans

Nas, île d’Icarie, Grèce

Des reporters, des médecins et des étudiants sont venus de partout pour me poser des questions sur la longévité à Icarie. Ces étrangers ont souvent l’air médusés par mon ouverture et ma façon chaleureuse de les accueillir. Ça les surprend que je rie autant, que je les embrasse et que je les serre dans mes bras. Peut-être que la chaleur humaine des habitants d’Icarie est ce qui nous tient en vie si longtemps?

Plusieurs choses ont changé ici depuis l’engouement qu’a entraîné la découverte des zones bleues. Il n’y a que cinquante habitants dans notre village et, dans les dernières années, sept résidences ont été achetées par des étrangers qui viennent, pour la plupart, de différents pays de l’Union européenne. Ce sont des maisons qui avaient toujours appartenu aux mêmes familles et qui avaient été transmises d’une génération à la suivante. C’est un peu dommage de se départir de notre héritage.
Cela dit, je ne me plains pas. Ces nouveaux arrivants s’ajustent tranquillement à notre culture et, avec le temps, deviennent plus ouverts, chaleureux et généreux.

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